Enquête par Ghassan Azar
Traduit de l’arabe par Diala Hanna
« Les plus petits flacons renferment les meilleurs parfums »…Ce vieil adage ne manque pas de venir à l’esprit de toute personne qui visite Kfarshliman, le plus petit village du Caza du Batroun, dans le nord du Liban.
Ce village paisible au nombre de maisons et d’habitants restreint, archétype du tourisme historique et religieux, est riche en peintures murales, fresques et sculptures qui invitent au recueillement et à la méditation… à tel point qu’il était naturel que Kfarshliman soit inclus dans la liste des sites touristiques mondiaux.
Parsemées à l’ombre des oliviers et des chênes centenaires sur les tournants d’une colline verdoyante, les maisons de Kfarshliman dévoilent également un ancien royaume gravé dans les rochers… Des vestiges de ce royaume: un temple phénicien, transformé au Vème siècle par les chrétiens en église portant le nom de Saydnaya … une église renfermant des inscriptions grecques et des fresques datant du XIIème siècle. Quant au château-fort du royaume, il en reste un escalier visible de l’extérieur, sans oublier les chambres funéraires, le pressoir, les encensoirs, les sépultures et surtout un puits – Bir El Raas (puits de la tête) - creusé par les païens et fréquenté par les croyants.
Juxtaposant l’ancien temple s’élève l’église de Saint Jean, patron du village. Mais nul ne sait s’il s’agit de Saint Jean-Baptiste, Saint Jean l’Evangéliste ou Saint Jean-Maroun, premier patriarche. Cette église fut bâtie sur les ruines du couvent Saints Sarkis et Bakhos, dont le culte était assez présent en Syrie entre le IVème et le Vème siècle.
Ce petit village du Batroun s’apprête à dévoiler son histoire riche qui lui attire les touristes, non seulement ceux en quête du tourisme religieux, mais aussi les amateurs d’histoire et d’écotourisme, notamment après la restauration de certaines des fresques du temple, là où se trouve l’église qui a attiré les croyants avec la propagation du christianisme à Jebbet Bcharré, Batroun et Jbeil au Vème siècle, alors que de nombreux ermites et moines ont habité le temple entre le VIIIème et le XIème siècle.
Situation géographique et origine du nom
Situé au centre du Batroun à 700m d’altitude, à 46 Km de Tripoli et 68 Km de Beyrouth, Kfarshliman est un petit village de 100 hectares. On peut y accéder à partir de la ville du Batroun qui s’y trouve à 20 Km en prenant les routes de Ajdbara, Ibrine, Bejdarfel, Ain-Aya et Wata Sourate, ainsi que la route Wata-Fteihate-Halta. Il est entouré de Halta à l’Est, Rachekdah au Nord, Assia et Zan au Sud et Sourate à l’Ouest.
Quant à l’appellation de ce village, il s’agit en fait d’une variation du nom Sleimane ou Souleyman (Salomon), et signifie « le village du roi Salomon », ce roi calme et pacifiste qui y a vécu et y a bâti son royaume. Kfarshliman est un nom syriaque de deux partie : kfar qui signifie champ, et shliman ou salomon, et signifie donc « le champ de Salomon ».
Habitants et Familles
Kfarshliman est habité par 100 villageois des familles Bassil, Elias, Yaacoub et Youssef, et contient 20 maisons. Ses habitants sont des descendants de deux aïeuls de la famille Bassil : le premier étant originaire de Toula Donieh et s’appelant Elias Abou Farah Bassil, et le second originaire d’Assia et s’appelant Semaan Nehmeh Bassil.
Ses Vestiges
La solennité vous prend au ventre une fois à Kfarshliman, village ou château, notamment au sein de son temple qui porte le nom de Saydnaya et qui invite à la contemplation.
Ce temple, ou ermitage – chambre rectangulaire sculptée dans les rochers sur une longueur de 2,75m, une largeur de 1,48 m et une hauteur de 1,80m, fut jadis un cimetière. Ses murs et son toit, originellement peints, sont recouverts d’une couche de suie due à l’encens brûlé, ou à un incendie au milieu du XXe siècle comme le racontent certains. Quant à l’entrée du temple, elle porte des inscriptions en grec signifiant «Jésus-Christ le vainqueur."
Les peintures murales et la restauration
Sur les parois rocheuses de la chapelle de Kfarshliman, on peut voir des dessins retraçant des scènes de la vie religieuse, peints du temps des Croisés (XIIe-XIVe siècle). Rongées par l’humidité, la pluie ou la chaleur excessive, usées par le temps, abîmées par la maladresse des visiteurs, ces peintures auraient pu être complètement détruites, si l’association pour la Restauration et l’Etude des Fresques Médiévales du Liban, n’était intervenue pour les sauver, grâce au financement accordé par l’Association Philippe Jabre (APJ) Le projet consiste à remettre ces vestiges dans leur état d’origine et protéger ces témoignages, laissés par des artistes du Moyen âge. Deux expertes italiennes professionnelles de la restauration, Livia Alberti et son assistante Alessia Felice, ainsi que Nayla Bilan, ont nettoyé et rénové les fresques il y a quatre ans, leur rendant un peu de leur lustre d’antan… et permettant de donner des réponses sur l’origine des peintres, leur style, leurs techniques…
Les peintures murales de l’ancienne église de Saydnaya furent les premières à être restaurées. Il est à noter que les chrétiens au Liban dessinaient sur les murs dans un but éducatif, celui d’expliquer la religion chrétienne à ceux qui ne savaient pas lire. Les peintures murales représentent le Christ, la Vierge Marie, Saints Pierre et Paul…Sans oublier la portée spirituelle de ces peintures, toutes byzantines, datant donc du XIIIe siècle. Cela montre que chrétiens du Mont-Liban connaissaient une certaine prospérité leur permettant de construire et décorer des églises.
L'empereur et la gazelle
L’église de Saydnaya a été nommée d’après le couvent de Saydnaya en Syrie, construit en 547 après Jésus-Christ. Ses riches peintures murales représentent des scènes religieuses. Les historiens racontent l’empereur byzantin Justinien Ier était parti avec son armée combattre les Perses, et lors de leur passage dans une zone désertique en Syrie, ils se sont pris de soif dans la localité de Naya. Une gazelle serait alors apparue à l’empereur qui, en la suivant, est parvenu à une fontaine d’eau claire. Et avant qu’il n’eut le temps de la tuer, la gazelle s’est transformée en une icône de la Vierge Marie qui en est sortie et a dit : « ne me tuez pas Justinien, mais construisez-moi une église sur cette colline », avant de disparaître.
La vierge est réapparue en songe à l’empereur pour lui montrer l’architecture à suivre dans la construction, architecture qu’on peut admirer encore aujourd’hui au couvent qui préserve sa splendeur et sa majesté byzantine.
Quant au mot Saydnayana, il est d’origine syriaque et signifie « Notre-Dame », comme il signifie « lieu de chasse » dans la même langue.
L’église de Saydnaya
L’anniversaire de la Vierge Marie est célébré tous les ans le 8 septembre. C’est l’une des plus anciennes fêtes de la vierge, et sa tradition remonte au VIème siècle. Kfarshliman est le premier des villages de Batroun à avoir organisé des festivités en cette occasion.
Il est à noter que le patriarche Youssef Tayan s’isolait souvent pendant deux jours au temple pour prier, après avoir démissionné du Siège du Patriarcat en 1809. Il a résidé dans le village de Kfarshliman à la demande de l'un de ses habitants avec lequel il s’était lié d'amitié. Le patriarche a également été le compagnon de Youssef Bek Karam. Il s’était alors construit une chambre avoisinant sa maison proche de l’église de Saydnaya, et y habita.
Les vestiges du royaume
De l’ancien royaume gravé dans les rochers de Kfarshliman, il ne reste que les fondations et des murs sculptés dans la roche, s’étalant des hauteurs du village jusqu'à celui du contrebas. Quant au mythique escalier gravé dans les rochers, il en subsiste une seule partie visible, le reste étant enfoui…C’est un royaume magnifique qui, dévoilé à nouveau, promet de jouer un rôle touristique, historique et culturel, s’accordent à dire les spécialistes.
Bir El Raas (puits de la tête)
A part les chambres funéraires, le pressoir, les encensoirs et les sépultures de l’ancien royaume, Bir El Raas (puits de la tête) demeure le plus important des vestiges. Creusé par les païens et fréquenté par les fidèles qui croient à la tradition selon laquelle l’enfant dont les frères et sœurs cadets ne vivent pas doit le traverser pour que les enfants qui naissent après lui soient viables.
Voici Kfarshliman…un petit village riche en sites archéologiques, religieux et environnementaux, et transformé en destination pour les touristes et les fidèles. Ses habitants espèrent faire revivre leur village et ses traditions, redonner leur lustre à ses fresques et à ses peintures murales, dévoiler ses vestiges…afin de lui restituer la noblesse de son passé.